Interview li Chevalier
ASIAN CONTEMPORARY ART
Li Chevalier est née en 1961 à Pékin, en Chine. Elle emploie dans ses œuvres une technique mixte, mêlant la technique de l’encre de Chine au support plus occidental qu’est la toile. Entre abstrait et figuratif, elle transpose dans ses tableaux ses réflexions philosophiques et existentialistes.
Quels sont vos rapports avec l’art lors de votre enfance ?
J’ai grandi à l’époque de la révolution culturelle, qui a débuté en 1966. L’ambiance de la révolution dite culturelle se retourna avant tout contre les intellectuels et la culture qu’ils représentaient : tout l’héritage culturel du passé devait être détruit, et toute influence de l’Occident devait être évincée. C’est ainsi que l’épouse du président Mao élimina tout le répertoire de l’ancien Opéra. Il fût remplacé par 8 opéras révolutionnaires, qui passaient en boucle tous les jours à la télévision et à la radio. Nous vivions dans une sorte de « monodie » culturelle, caractérisée par une pensée unique, une voix unique. Le pays ne produisait plus, et la population contribua à créer des spectacles pour chanter la gloire du Parti et de Mao. La musique, le chant, la danse et la performance étaient très présents au quotidien. En tant qu’enfant, j’éprouvais une vraie fascination pour ces opéras, dont je rêvais d’être protagoniste. J’ai suivi parallèlement des cours de dessin et de peinture à l’encre avec beaucoup d’assiduité et de passion. En 1976, à l’âge de 15 ans, j’ai été recrutée par l’armée pour y chanter. La même année, Mao est décédé et la réforme a débuté : le pays s’est ouvert, notamment culturellement. Progressivement, l’université s’est également ouverte, avec la possibilité de suivre des études supérieures. J’ai alors quitté l’armée après 5 ans pour me présenter au concours d’entrée de l’université. J’ai réussi, malgré mes années de lycée perdues, à intégrer l’Université des Relations Économiques et de Commerce International à Pékin, qui formait les futurs fonctionnaires du Ministère et des diverses ambassades. Je m’intéressais peu aux cours de finance internationale et j’ai passé mon temps à chanter et à collectionner les livres de philosophie et de littérature étrangère, interdits durant toute la révolution culturelle et réédités à cette époque. Dans cette université, j’ai eu accès aux revues internationales et aux cours donnés par des professeurs étrangers directement en langue anglaise. C’était une fenêtre sur le monde. L’université m’a offert cette possibilité d’étendre ma vision du monde.
Vous êtes venue en France pour y étudier les sciences politiques et la philosophie. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous ré-orienter vers des études d’art par la suite ?
Les 4 années d’études à Sciences Po et le DEA en philosophie politique m’ont offert la possibilité de développer mon esprit critique. J’y suis allée pour chercher des réponses à mes questions. Parallèlement à mes études, je chantais dans l’Orchestre de Paris. Sachant que je ne pouvais pas poursuivre une carrière de grande chanteuse lyrique en Europe à cause du style de chant que l’on m’avait enseigné en Chine, trop différent de celui-ci, je me tournai alors vers mon second centre d’intérêt: la peinture et le dessin.
Parlez-nous de vos débuts en tant qu’artiste.
En 1990, j’ai découvert la ville de Venise en Italie. J’y ai rencontré de nombreux peintres : cela m’a ébranlée. L’Italie a eu un rôle primordial dans ma carrière, pour la richesse de ses images et l’héritage artistique du pays qui m’ont abasourdi. J’ai effectué des voyages réguliers à Venise, puis à Florence. A Sienne, j’ai rencontré un prêtre dominicain de la basilique; j’ai alors entamé des cours de langue italienne et des cours de dessin. Les premières années de mon apprentissage en peinture à l’huile ont consisté bien entendu en la reproduction de chefs d’œuvre de la Renaissance. J’ai fait des allers-retours constants en Italie depuis le début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui.
Comment votre œuvre a-t-elle évolué depuis ?
Dans le parcours d’un artiste, il y a des moments d’apprentissages, de piétinements, de glissements lents vers une évolution mais il y a aussi des moments de révolutions. En 2003, je suis passée de la peinture à l’huile à la peinture dite « techniques mixtes », utilisant de l’encre de Chine. En 2010, j’ai entamé ma première installation. Pourquoi cette volonté de mixer les techniques vous intéresse-t-elle ? En 2003, j’ai présenté au Salon de la Société Nationale des Beaux Arts Français un tableau rouge vif figuratif teinté d’esprit surréaliste. Jugé trop proche du surréalisme européen par mon maitre Pierre Henry, j’ai décidé d’explorer d’autres voies. En 2004, j’ai commencé à travailler à l’encre suite à un atelier de techniques mixtes suivi à l’école Saint Martins (Londres). A l’issue de cette première expérimentation, j’ai présenté une collection d’œuvres à l’encre sur toile, dans un esprit tout a fait expérimental. Elle a suscité beaucoup de commentaires : jamais auparavant on n’avait vu ce lien entre le médium typiquement oriental qu’est l’encre, couplé à une forme d’expression européenne, sur toile. Or, il y a une grande distance entre ces deux techniques.
Quelle place accordez-vous à la philosophie et la politique dans votre œuvre ?
Je n’ai jamais eu d’intérêt professionnel pour les sciences politiques ou la philosophie, mon intérêt venait plus de recherches personnelles, il s’agissait d’une quête de réponses à mes interrogations. Le directeur de mon DEA de philosophie l’a lui-même reconnu : « Vous êtes venue poser des questions et chercher des réponses, et pas un diplôme ». Il a accordé une mention très bien à mon diplôme de DEA et m’a invitée à poursuivre mes études en doctorat. Aujourd’hui, mes toiles sont remplies de points d’interrogation. Dans une approche plus spécifiquement politique, j’ai pu me questionner sur la légalité d’un régime politique ou la valeur de l’homme. Ce type de questions m’habite moins aujourd'hui, je me sens plus interpellée par un horizon plus existentiel ou métaphysique. Je vous cite quelques titres de mes œuvres : Beyond the horizon (2010); L’horizon est un précipice. Le second est clairement plus pessimiste : il s’agit d’une ligne située à l’horizon plus ou moins lointaine dans notre vie, celle qui nous attend et nous guette tous. C’est une ligne que nous devons franchir seul. Cela renvoie à cette angoisse et aux sentiments de solitude qui « habitent » l’homme.
Li CHEVALIER, « Beyond the horizon », 2010
Quelle est la part d’influence de vos origines chinoises (la culture, la révolution culturelle…) et la part d’influence de votre expérience en France et en Occident dans votre œuvre ?
Mes travaux se présentent comme une langue de rencontre. Une rencontre « plastique » tout d’abord : comme je l’ai mentionné, il s’agit de la rencontre entre l’encre de Chine, typiquement chinoise, avec la toile, support typiquement occidental. Cette révolution des supports m’a donné la possibilité de jouer avec toutes les techniques mixtes reçues de l’Occident, permettant la création de textures par collage ou par intégration de sable sur la surface de la toile par exemple. La rencontre s’opère également sur le plan thématique et esthétique. Je cite à ce propos un passage du texte du conservateur du Musée d’Art Contemporain de Rome, Claudio Crescentini, qui, à mon avis, résume bien mes démarches: « Li dérive et s’éloigne aujourd’hui des stéréotypes des préciosités orientales, qu’elle transcende par ses gestes, ses mélanges, son éclectisme et son pathos. » Je pense que le mot « pathos » ici, est un mot clé s’apparentant à ce saut que j’ai effectué vers l’occident, car l’art oriental, qu’il soit pictural ou musical, a toujours été fidèle à sa vocation, à savoir de « nourrir la vie de façon harmonieuse » . Il cherche désespérément à s’éloigner ou à éviter la souffrance, alors que l’Occident n’hésite pas, et je dirais même, adore cultiver toutes les dimensions de l’âme afin d’atteindre une expression d’une grande amplitude et d’un fort impact émotionnel. Dans le mot « sublime », on entend déjà le mot « pathos » et ces exaltations des passions telles que la solitude, la terreur, l’angoisse de la mort, même dans une sphère contemplative, introduisent une sorte de dissonance douloureuse qui m’attire et qui m’est proche. Dans un certain sens, l’impact de cette esthétique occidentale sur mon état mental fût décisive et sans retour.
Il y a une influence de l’esthétique asiatique dans votre travail : êtes-vous plutôt dans une démarche de rupture ou de continuité envers cette influence asiatique ?
J’essaie d’opérer une sorte de révolution pacifique, en inventant une forme d’art basée sur un héritage, mais bien en phase avec notre temps. Beaucoup d’artistes ou musiciens contemporains partagent ce point de vue. Je peux ainsi citer les compositeurs Thierry Escaich, Karol Beffa, Peteris Vasks et Avro Pärt : leurs musiques ne nient pas le passé mais sont à la fois très puissantes, novatrices et contemporaines.
Votre œuvre est-elle autant connue en France qu’en Chine ?
Ma carrière est internationale. J’ai vécu de longues périodes en Angleterre, en Chine, en Indonésie, au Japon, au Qatar et aux Émirats. Mes séjours ont été suffisamment longs pour me créer un réseau là-bas. Mon travail est principalement collectionné par les institutions en Chine, et davantage par des collectionneurs privés en Europe. En Chine, mes travaux font partie de la collection permanente du Musée National Des Beaux Arts De Chine, du musée de L’Opéra National de Chine et aussi de l’Ambassade de France à Pékin, lieu symbolique de la diplomatie, des échanges et des croisements entre ces deux pays. En France, ma première grande exposition monographique ne date que de 2013, à Bordeaux, à l’occasion du 50 ème anniversaire des relations diplomatiques France-Chine. Cette exposition, qui a eu une grande répercussion, a débouché sur une collection de mes œuvres par l’Institut Bernard Magrez. Mes travaux sont très présents dans de grands espaces artistiques italiens, notamment au Musée d’art contemporain de Rome. Ils sont en ce moment en exposition au Complexe Muséal de Sienne.
Tableaux de Li CHEVALIER à l’ambassade de France en Chine
Exposition au musée d’art contemporain de Rome, « Li Chevalier : Trajectoires du désir », 2017
Vos œuvres sont-elles reçues de la même manière en Occident et en Chine ?
Je dirais qu’il y a une réaction commune. De part et d’autre, ceux qui n’ont jamais été exposés à mon art, si intimement lié à mon parcours, ressentent devant mes travaux une sorte de singularité. Pour conclure, je citerai une critique de Gérard Xuriguera: « Li Chevalier n’a pas cédé à la tentation de tracer un pont entre Orient et Occident: elle a créé un monde, son monde. »
Montrez-vous le même type d’œuvre partout à travers le monde ? Adaptez-vous la sélection de votre travail selon le pays où il est présenté ?
Le choix des œuvres va être différent selon qu’il s’agisse de galeries, de foires ou de musées. Dans les galeries la démarche est plutôt commerciale, tandis que dans un musée l’artiste peut dévoiler l’ensemble de sa création de façon plus cohérente. J’insiste davantage sur une présence institutionnelle, car ce sont des lieux qui donnent toute possibilité aux artistes dans leurs recherches d’impact émotionnel, en déployant leurs capacités de scénographie. L’exposition en elle-même devient alors une œuvre qu’on crée sur place et qu’on adapte à chaque lieu et chaque occasion.
Exposition à la base sous marine de Bordeaux, « Li Chevalier : L’Art du Croisement », 2014
Quels sont vos prochains projets ?
J’expose cet été au musée de Sienne. J’ai choisi de présenter deux installations multimédia que j’ai réalisées, accompagnées de deux pièces musicales de Karol Beffa. Exposition au complexe muséal de Sienne,
« Li Chevalier : Obscure Clarté » du 1er juin au 30 septembre 2018
Avez-vous un rêve, une aspiration, une ambition particulière… ?
Aujourd’hui mon rêve serait d’avoir une forte présence sur les grandes plateformes artistiques internationales. Et aussi que dans 200 ans, quand mes petits enfants feront le tour des musées dans le monde, ou sur la toile, on puisse leur dire : « voilà les peintures de votre aïeule « . Je suis à la recherche d’un dialogue avec le futur afin de transcender le temps.
Propos recueillis par Camille Scheiblin et Lou Anmella-de Montalembert, avril 2018 In April 2018, ACA project asked 8 questions to Li Chevalier, who had to answer by taking pictures in her studio – based in Ivry-sur-Seine, in the parisian suburb.
En avril 2018, ACA project a posé 8 questions à Li Chevalier, qui doit répondre en photo dans son atelier – situé à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne.
What is the latest artwork you created? Quelle est la dernière œuvre que vous avez créée ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project
What is your favorite artwork in your studio? Quelle œuvre préférez-vous au sein de votre atelier ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project
What is your favorite object? Quel est votre objet préféré ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project
What is your favorite working tool? Quel est votre outil de création privilégié ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project
What inspires you? Qu’est-ce qui vous inspire ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project
What do you prefer in your studio? Que préférez-vous dans votre atelier ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project
What is your favorite color? Quelle est votre couleur préférée ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project Who are you?
Qui êtes-vous ? © Li Chevalier – Courtesy ACA project HAVE YOU MET Navigation de l’article Projet précédent CUI BAOZHONG – CURATOR Projet Suivant SUNG-PIL CHAE – ARTIST
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