LI CHEVALIER

LI CHEVALIER

Terre constellée

Texte de Daniel Bougnoux  pour  Exposition   <Victor Segalen  Stéles  >   Bibliothèque  National de Chine 

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Installation Stèles de lumière /li Chevalier 

Daniel Bougnoux, philosophe, est professeur émérite à l'Université Stendhal de Grenoble. Auteur d'une vingtaine de livres en poétique et en sciences de la communication, il dirige également l'édition des Œuvres Romanesques Complètes d'Aragon dans la Bibliothèque de la Pléiade.

 

Quand Mallarmé voulut rivaliser en poète avec le ciel étoilé, il conçut la constellation hypertextuelle du <Coup de dés>. Fixes dans le ciel noir, les étoiles ont depuis toujours orienté les bergers, les navigateurs et les poètes. Ce principe d'orientation guide pareillement Segalen quand il s'attaque à la rédaction des Stèles. De l'étoile à la stèle, la proximité n'est -elle pas évidente, dictée par l'étymologie? Toutes deux dérivent du verbe être et du radical indo-européen-ST, qui exprime la stabilité de l'état. Les stèles lapidaires sont d'abord des repères fixes dans un monde aux signes moutonniers et changeants. les points de capiton du Ciel sur la terre.

 

Or il se trouve qu'en Chine le Ciel est descendu sur la terre; et c'est du Ciel ou de son administration que semblent couler les Caractère, qui incrustent le sol de leurs sceaux: <Ils dédaignent d'être lus. Ils ne réclament point la voix ou la musique. (...) Ils n'expriment pas; ils signifient; ils sont>

 

 La stèle capitalise les directions de l'espace; elle accumule le temps, et  rayonne. Grand déchiffreur de signe, Segalen rencontra dans la forme-stèle la plus riche des condensation  poétiques: à la pierre dressée s'attachent par strates successives une conscience médiologique du matériau et de l'intuition symbolique, une pragmatique du lieu et du moment de l'énonciation, une sémiotique qui accompagne l'expression du sens et l'essor spirituel du poème à partir du sol matériel, une esthétique enfin de la noblesse des Caractères-< leur graphie ne peut qu'être belle> Mais si les pierres parlent, que disent-elles?

Le texte de la stèle enseigne d'abord par sa forme ou par  ce qu'il montre: une immobilité lapidaire, monumentale. Depuis le Phèdre de Platon, l'écriture est définie en bonne et en mauvaise part pour ce qui fixe et fige cette parole qu'Homère disait ailée, toujours en mouvement dans la bouche agile des hommes. Face à la voix vive, l'écriture demeure assignée à la résidence des tombes, elle est traditionnellement abouchée à la mort. Ce que montre la stèle chinoise, si l'on en croit du moins la précise et rêveuse généalogie tracée par Segalen; par son matériau, grave, autant que par sa forme, la stèle prescrit l'arrêt. Arrêt du Prince, arrêt de mort du sacrifice, arrêt de la foule assemblée au spectacle sanglant, arrêt de la pierre immobile dans le flot incessant. ….

 

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06/01/2015
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