Texte de Claudio Crescentini
CLAUDIO CRESCENTINI Conservateur / Musée D'Art Contemporain de Rome
LI CHEVALIER, ART ET ENTRE
En observant les œuvres créées au fil du temps par Li Chevalier, la mémoire critique risque de se perdre dans un labyrinthe de références stylistiques et d’icônes qui échouent à rendre compte de l’essence de son travail, l'axe d'interprétation se déplaçant vers des horizons créatifs insoupçonnés. Par différentes approches mentales, Li dérive et s’éloigne aujourd'hui des stéréotypes des préciosités orientales, qu’elle transcende par ses gestes, ses mélanges, son éclectisme et son pathos.
L’artiste a vécu en Europe, plus précisément en France depuis la seconde moitié des années 80. Les événements dramatiques en Chine à cette époque l’ont clairement décidée à fonder son œuvre créatrice sur un univers onirique, empreint de dérive orientale, de formes, de paysages qui se nourrissent en partie de la culture et de la peinture zen ; une esthétique absorbée puis prolongée entre deux continents, qui bénéficie aussi d’une technique précise et d’une grande habileté inventive qui, à notre avis, est caractéristique de la formation de l'artiste au Collège Central Saint Martins des Arts et du Design de Londres.
Mais à côté du signe, il y a une intrusion tout aussi claire de la philosophie - la pensée - dans le champ visuel de son art. Le geste harmonieux et retenu a été renforcé au cours des années, surtout depuis la première décennie de ce siècle ; tout cela l’amena à collaborer plus tard avec des philosophes français, tel Luc Ferry et résulta dans l'introduction dans sa pratique plastique d'une approche constructive nettement plus personnelle et autonome.
Un exemple explicite de sa nouvelle façon de comprendre et de créer est représenté par les œuvres exposées, entre 2010 et 2013, dans ses grandes expositions monographiques en Chine, au Musée d'Art National de Chine (2010), Today Art Museum, Beijing (2010) , Shanghai Art Museum (2011), Centre national des arts du spectacle (NCPA) Chine (2013). Dans le rythme mesuré de ses créations, des encres de plus en plus cohérentes se superposent aux travaux antérieurement décidément plus < minimalistes >. Tandis que le signe, dans sa sincérité et expressivité gestuelle, semble être traité et filtré par une définition stylistique qui est un peu plus européenne, un peu moins orientale. En outre, il ne pouvait en être autrement pour une artiste qui a décidé de vivre et de travailler dans le sillon entre deux rives culturelles et géographiques parallèles, tout en inclinant obliquement vers le côté européen, même si à première vue ce n'est pas si évident .
Le timbre occidental adopté dans son expérimentation de différentes teintes à des fins structurelles ne génère pas de confusion et ne contredit pas le retour de Chevalier à la culture chinoise et à l'encre, qui est cependant revisitée avec une capacité décidément européenne de composition qui, à notre avis, révèle l'obstination intellectuelle de l'artiste.
Ce profond amour de deux cultures, entre racines et nouvelle formation, amèneront Chevalier à participer au nouveau mouvement artistique <Peinture à l’encre expérimentale>, clairement identifié dans le texte sur l'artiste de François Jullien, en 2014, intitulé< Encre – Entre>.
Ainsi elle crée un art entre l'est et l'ouest, avec des références visuelles et des regrets qui vont au-delà de la division indiquée et qui mènent l'artiste, surtout ces dernières années, à enrichir et élargir sa recherche visuelle, dans des installations marquées par une forte inspiration poétique et un impact émotionnel décisif. Comme dans le cas de Cantabile per Archi (2013), une œuvre inspirée par la musique du compositeur Letton, Peteris Vasks, une forêt de violons avec des signes superposés, des lettrages, des mots et du papier imbibé d'encre, qui sublime la vie et l'art - dans une version séduisante spécialement créée, entièrement révisée et faite « sur mesure » pour le MACRO Testaccio à Rome.
Nous sommes en face d’une installation qui incarne toute la démarche de li Chevalier : formes, langage, structure et propre construction de signes se conjuguent dans son programme de dépassement de la stérile modernité globalisante avec l’intention manifeste d’endiguer la dérive de l’art ou plutôt des arts, par l'impact de la mise en scène théâtrale, du son, de l’image, pour renouveler une expérience artistique et émotionnelle intrinsèque.
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